Vincent Laurent
Responsable marketing de l'ESTAC, Vincent Laurent est passionné de sport et de marketing. Toujours en avant-garde, il se tient informé de toutes les nouvelles tendances, dans son secteur, mais bien au-delà.
Depuis plus de 3 ans, il participe au virage que le club de foot local a pu prendre et de sa digitalisation accélérée.
Vincent a pu réaliser de nombreux projets sur lesquels il porte un regard lucide sur son expérience et les défis d'un secteur en pleine mutation.
Aujourd'hui, il répond à nos 3 questions !
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'impact du digital dans votre secteur d'activité ?
Vincent Laurent : "Je crois que pour bien comprendre l'impact du digital dans notre secteur, il faut que je vous raconte un peu notre histoire récente. Quand je suis arrivé à l'ESTAC il y a trois ans, le club venait d'être racheté par City Football Group (CFG). Peu avant mon arrivée, on avait déjà un CRM ce qui était assez rare pour un club de notre taille à l'époque. Mais on avait un gros problème : on n'était pas propriétaires des données. Du coup, on a dû tout recommencer, repartir presque de zéro.
Et là, on s'est dit qu'on n'allait pas refaire la même chose. On est allés plus loin qu'un simple CRM : on a mis en place un FRM, un Fan Relationship Management. L'idée, c'est d'avoir une vision beaucoup plus large que la simple relation client traditionnelle et de mettre en place un programme de fidélité. On centralise toutes les interactions qu'on a avec nos supporters : au stade, sur internet, les réseaux sociaux, à la boutique... Tout est interconnecté, on a une vision consolidé, à 360°, de nos fans, on les connait très bien, on sait maintenant mieux s'adresser à eux..
Il faut comprendre que l'ESTAC, c'est paradoxal : on est une PME en termes de structure interne - peu de salariés - mais avec un impact médiatique énorme. Et un de nos enjeux principaux, il est très clair : remplir le stade sur le long terme. Pour ça, on a besoin de data, de beaucoup de data. Plus on connaît nos supporters, mieux on peut les fidéliser et en attirer de nouveaux.
Ce qui est fascinant (ndlr : parfois frustrant !), c'est l'impact des résultats sportifs sur nos projets digitaux. Quand on est en Ligue 1, c'est un accélérateur phénoménal ! Tout va deux à trois fois plus vite : les budgets, la visibilité, les opportunités... En Ligue 2, c'est plus lent, plus dur de faire avancer les choses. Le sport, ça reste émotionnel, et cette émotion se répercute directement sur nos leviers d'innovation.
Plus largement dans le sport, c'est très inégal. Les fédérations ou les grandes enceintes ont bien compris l'intérêt du digital parce qu'elles ont besoin de séduire, d'exister au-delà du terrain, faire vivre des expériences. Mais la plupart des clubs restent très tournés résultats sportifs à court terme, souvent au détriment d'une stratégie digitale pensée sur le moyen terme.
Côté e-sport, à l'ESTAC, on pense que c'est plus qu'un effet de mode. Ça fait plus de 10 ans que ça cartonne, et beaucoup pensaient que ce serait une bulle... mais non ! C'est structuré, ça touche beaucoup de générations. Bien sûr les Millennials au départ, mais maintenant les Gen Z, et même des générations plus âgées qui s'y mettent. On se rend compte que l'e-sport peut devenir un moyen de développer la marque, d'être un moyen d'augmenter le business. Je crois que le digital c'est aussi une opportunité pour les entreprises de créer de nouveaux services, d'augmenter leurs revenus.
Pour nous, ça a été un nouveau terrain de jeu pour la marque ESTAC. On a commencé avec des jeux autour du foot, évidemment. Mais très vite, on est allés sur d'autres univers, comme EVA, et on a développé une véritable stratégie autour de ça.
Ce qui nous tient à cœur, c'est de préserver la cohérence de marque. L'ESTAC, ce n'est pas juste un club de foot : c'est aussi un centre de formation. Et on a appliqué cette logique au e-sport. On a un exemple très fort : un joueur amateur local qui, en trois ans, est passé semi-pro grâce à notre accompagnement.
Et puis, on ne parle pas que de jeu : on parle aussi d'éducation, de prévention, d'accompagnement scolaire. C'est une vision complète qui nous a permis de trouver de nouveaux relais de partenariat, différents de ceux du foot pro. Le Département de l'Aube, Y SCHOOLS... Ce sont des acteurs qui ont compris l'enjeu de toucher un public plus jeune, avec des budgets plus adaptés à notre réalité.
On a aussi exploré des pistes dans le Web3. Certaines n'ont pas marché comme on le voulait, ou auraient nécessité de continuer d'investir. Mais on n'a jamais vu ça comme des échecs. Pour nous, ce sont des expérimentations. Et surtout, chaque projet nous a appris quelque chose.
C'est peut-être le troisième projet qui a été un succès, mais c'est uniquement parce que les projets 1 et 2 nous ont permis d'apprendre, d'éviter des erreurs, de mieux calibrer nos attentes. On a cette culture du test, de l'audace, de la prise de risque. Et ça, c'est fondamental quand on veut progresser dans le digital, surtout dans notre secteur où l'innovation peut faire la différence."
Quels sont, selon vous, les enjeux numériques que rencontrent le plus souvent vos clients / partenaires, et quel conseil pourriez vous leur donner ?
Vincent Laurent : "Ca fait écho à ce que je disais juste avant : la méthode test & learn, c'est vraiment essentiel dans le digital. Et c'est là que je vois le plus de difficultés chez nos partenaires ou dans les clubs qu'on côtoie.
Le premier enjeu, c'est cette peur de l'échec qui paralyse complètement. Dans le sport, on est habitués aux résultats immédiats, visibles : on gagne ou on perd, c'est binaire. Mais le digital, ça ne fonctionne pas comme ça. Il faut essayer des choses, apprendre de ce qui ne marche pas, ajuster, recommencer... Et ça, c'est culturellement difficile à accepter pour beaucoup de structures sportives. Il y a également la recherche de ROI immédiat, alors que certaines ambitions digitales nécessitent parfois de la persévérance et de l'engagement sur le moyen terme.
Le deuxième enjeu, c'est le manque de veille et de formation. Moi, je pense passer facilement 15% de mon temps à me tenir informé, essentiellement sur mon temps perso - mais ça me passionne ! Je lis, je regarde ce qui se fait ailleurs, j'échange avec d'autres professionnels... J'ai eu la chance d'avoir un management très sensible à ces sujets et à l'écoute des tendances.
Et puis, il y a cet enjeu de l'accompagnement. Quand on n'a pas les compétences en interne - et c'est souvent le cas dans des structures de cette taille - il faut savoir se faire guider. Mais attention, pas par n'importe qui ! Il faut des partenaires qui comprennent vraiment les spécificités de notre secteur, qui connaissent nos contraintes budgétaires, nos cycles de performance...
Mon conseil, c'est simple : acceptez de vous planter ! Commencez petit, testez, mesurez, apprenez. Et surtout, investissez du temps dans la veille et la formation. Le digital, ça évolue tellement vite que si vous ne restez pas à la page, vous êtes rapidement largués.
Et puis, entourez-vous bien. Trouvez des partenaires qui ont envie de grandir avec vous, qui acceptent de prendre des risques, qui comprennent que dans notre secteur, on n'a pas toujours les moyens des grandes entreprises mais qu'on a une passion et une communauté exceptionnelles à valoriser."
A titre personnel, quel outil, réflexe ou approche digitale avez-vous adopté et que vous recommanderiez à d'autres professionnels ?
Vincent Laurent : "Personnellement, l'outil qui a vraiment changé ma façon de travailler dans mes expériences précédentes, c'est l'utilisation d'un logiciel de suivi et de gestion de projet. Je recommande ClickUp, mais il y en a d'autres qui font le travail.
Pour moi, c'est devenu absolument essentiel pour avoir une vision transversale de tous les projets en cours. Et quand je dis 'tous', c'est vraiment tous ! Parce que dans une entreprise comme la nôtre, on foisonne constamment de nouveaux projets. On a le marketing traditionnel, l'e-sport, les partenariats, les événements, la communication digitale, les infrastructures, les projets commerciaux... Si tu n'as pas d'outil pour centraliser tout ça, tu es rapidement noyé.
Ce qui est génial avec ce type d'outil, c'est que ça te donne une vision claire de qui travaille sur quels sujets. Dans une petite structure comme la nôtre, on porte tous plusieurs casquettes, et il faut savoir très rapidement qui fait quoi pour éviter les doublons ou les oublis.
Ça permet aussi d'identifier où sont les goulets d'étranglement, ça clarifie les workflows. Tu vois tout de suite si un projet traîne parce qu'il manque une validation, un budget, ou simplement du temps. Et ça, c'est crucial pour bien gérer les priorités et avoir une exécution optimisée.
Parce que notre secteur, c'est ça : on a mille idées, mille opportunités, mais il faut savoir prioriser et exécuter. Le digital nous donne plein de possibilités, mais si tu n'as pas une organisation rigoureuse derrière, tu pars dans tous les sens et tu n'arrives nulle part.
Parfois au début, ça peut être est un peu lourd à mettre en place, il faut former tout le monde, créer les bonnes habitudes... Mais une fois que c'est en place, ça change complètement votre efficacité collective."