Sylvia

Maucort

Déléguée générale de l'Union des Industries Textiles (UIT) Champagne-Ardenne, Sylvia est au contact permanent des dirigeants des entreprises de ce secteur historiquement implanté dans l'Aube.

Sous son impulsion, la filière a pu gagné en visibilité notamment avec l'initiative "Les faiseurs de maille". Ainsi le territoire champardennais se démarque sur son savoir-faire fort sur ce segment.

Par ailleurs, Sylvia a eu l'opportunité de vivre à l'étranger, mais aussi de travailler à la création et au développement du YEC, l'incubateur troyen dédié aux étudiants, pour les sensibiliser et les accompagner dans l'entrepreneuriat.

Aujourd'hui, elle répond à nos 3 questions !

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'impact du digital dans votre secteur d'activité ?

Sylvia Maucort : "Le digital dans notre secteur, c'est vraiment une question centrale aujourd'hui, mais il faut bien comprendre le contexte dans lequel on évolue. Notre filière textile, et notamment le secteur de l'habillement, est littéralement en train d'être complètement disruptée par des acteurs comme Shein ou Temu. Ces plateformes ont fait du digital et de l'intelligence artificielle une véritable machine de guerre pour inonder nos marchés européens avec ce qu'on appelle l'ultra fast fashion.

C'est impressionnant techniquement, il faut le reconnaître : ils utilisent des algorithmes ultra-sophistiqués pour analyser les tendances en temps réel, adapter leur production à la demande, optimiser leur logistique... Ils peuvent sortir des milliers de nouveaux modèles par jour, ajuster les prix instantanément selon la demande, cibler leurs campagnes publicitaires avec une précision chirurgicale.

Mais - et c'est un 'mais' de taille - les conditions d'usage de ce digital sont extrêmement discutables, que ce soit d'un point de vue social ou écologique. On parle d'une industrie qui pousse à la surconsommation, qui utilise des données personnelles de façon parfois limite, qui encourage un modèle économique basé sur le jetable...

Face à cette situation, nos entreprises en Champagne-Ardenne - et plus largement en Europe - se retrouvent face à un vrai défi. On ne peut pas rester les bras croisés et subir cette concurrence déloyale. Il faut qu'on s'organise et qu'on utilise nous aussi ces outils digitaux, mais pour de bonnes raisons : augmenter notre compétitivité, notre réactivité, améliorer notre traçabilité.

Ce qui est crucial, c'est qu'on ne doit pas seulement utiliser le digital pour mieux répondre aux nombreuses normes et réglementations qu'on nous impose - même si c'est important aussi. Non, il faut qu'on en fasse un levier stratégique pour développer un modèle textile plus durable, plus éthique, mais aussi plus performant.

On a des atouts formidables dans notre région : un savoir-faire reconnu, une tradition textile séculaire, des entreprises innovantes... Le digital peut nous aider à valoriser tout ça, à le rendre visible, à créer de la valeur ajoutée. Mais il faut qu'on reprenne l'initiative et qu'on montre qu'on peut faire du textile autrement, avec les nouvelles technologies comme alliées plutôt que comme subies."

woman in white shirt using smartphone
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Quels sont, selon vous, les enjeux numériques que rencontrent le plus souvent vos clients / partenaires, et quel conseil pourriez vous leur donner ?

Sylvia Maucort : "Alors, la question des enjeux numériques, c'est vraiment le cœur de notre accompagnement au quotidien. Et il faut bien comprendre qu'on part d'une situation assez contrastée dans l'industrie française. D'un côté, nos grands groupes ont fait le boulot - ils se sont appropriés des outils numériques vraiment performants qui leur permettent de faire de la production à la demande, de mettre en place des jumeaux numériques, d'optimiser leurs processus... Ils ont atteint une forme d'excellence opérationnelle.

Mais de l'autre côté - et c'est là que ça devient intéressant pour nous au Pôle d'Excellence de la Maille 4.03 - nos PME sont souvent complètement perdues. Elles voient bien que le digital, c'est l'avenir, elles comprennent qu'elles ne peuvent pas passer à côté, mais concrètement, elles ne savent pas par quel bout prendre le problème.

green and white metal rack
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Notre mission, c'est justement de créer ce pont entre ces deux mondes. On partage les bonnes pratiques des grands groupes, mais en les adaptant à la réalité des PME. Parce qu'évidemment, on ne va pas demander à une boîte de 15 salariés d'investir dans les mêmes solutions qu'un groupe industriel de 10 000 personnes !

Ce qu'on leur dit, c'est : commencez par des outils accessibles et simples. L'idée, c'est de rentrer dans ce qu'on appelle un processus apprenant. Une fois que vous avez goûté aux premiers bénéfices de la digitalisation sur des choses basiques, vous développez naturellement l'appétit pour aller plus loin.

Mais - et c'est crucial - il faut qu'elles y mettent les moyens, notamment en ressources humaines. C'est le piège qu'on voit tout le temps : les dirigeants pensent qu'il suffit d'acheter un logiciel pour que ça marche tout seul. Non ! Il faut monter en compétence, il faut former les équipes, il faut identifier qui va porter le projet dans l'entreprise.

Notre rôle, c'est d'aider chaque PME à identifier quel outil pourrait être pertinent pour elle spécifiquement. Parce qu'il n'y a pas de solution miracle universelle. Chaque entreprise a ses spécificités, ses contraintes, ses objectifs. C'est du sur-mesure, et ça demande du temps et de l'écoute, mais c'est comme ça qu'on obtient des résultats durables."

A titre personnel, quel outil, réflexe ou approche digitale avez-vous adopté et que vous recommanderiez à d'autres professionnels ?

a neon neon sign that is on the side of a wall
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Sylvia Maucort : "Là, je dois être honnête : je suis bien meilleure conseillère qu'utilisatrice ! C'est un peu le syndrome du cordonnier mal chaussé, vous voyez. Je passe mon temps à expliquer aux autres comment bien utiliser le digital, mais dans ma pratique personnelle, je ne suis pas forcément la plus exemplaire.

Ceci dit, il y a un domaine où j'essaie vraiment de progresser et où je vois des résultats concrets, c'est l'intégration de l'IA générative dans mon fonctionnement quotidien. Mais attention, pas n'importe comment ! Ce qui m'intéresse, c'est d'identifier très précisément où elle peut vraiment me faire gagner du temps et de l'efficacité.

Dans mon poste, les relations humaines et la coopération sont vraiment au cœur de ma mission. Je ne peux pas déléguer ça à une machine, évidemment. Mais par exemple, pour préparer mes réunions, structurer mes notes, ou même parfois reformuler des idées complexes de façon plus accessible, l'IA peut être un vrai plus.

Le truc, c'est de ne pas tomber dans le piège de vouloir tout automatiser. Il faut garder sa valeur ajoutée humaine, surtout dans nos métiers où l'accompagnement et l'écoute sont essentiels. L'IA, c'est un assistant, pas un remplaçant. Quand on l'utilise comme ça, intelligemment et de façon ciblée, ça peut vraiment libérer du temps pour se concentrer sur ce qui compte vraiment : les relations avec nos partenaires et nos clients."